THÈMES FONDAMENTAUX
Travaillée par les thèmes de l'exil et de l'errance, l'oeuvre montre qu'ils ne sont pas de simples éléments littéraires, caractéristiques de cette littérature, mais qu'ils renvoient à une pratique culturelle maghrébine pour laquelle l'exil et l'errance sont le fait du banni, du héros et du poète. Chez nombre de personnages, associant ces trois figures, l'exil et l'errance deviennent ainsi un principe de vie. De ce point de vue, la biographie de Khaïr-Eddine lui-même constitue un témoignage significatif.
Associés à ces deux thèmes dominants, l'exclusion et la quête participent aussi à la thématique fondamentale de l'oeuvre qui se fait l'expression de la marginalité sociale, politique, culturelle et identitaire, génératrice alors de cette errance et de cette quête que figure chaque livre de l'auteur. L'exclusion est ici, avant tout, initiative individuelle, auto-exclusion, rébellion et rejet, contestation socio-politique et désir de libération individuelle.
Les recueils de poèmes, de Nausée Noire (1964) à Résurrection des fleurs sauvages (1981), en passant par Soleil Arachnide (1969) et Ce Maroc (1975), formulent cette révolte à la fois individuelle et sociale, cette revendication du même ordre, tout en criant sa difficulté d'être, ainsi que le désir de changement et la recherche d'un mieux être. La production poétique livre une poésie essentiellement vindicative, imprécative et conjuratoire, une poésie violente qui s'exile parfois dans le délire et l'onirisme, refuges contre le mal. Elle manifeste par ailleurs une préoccupation constante pour le collectif, le poète se rêvant voix du peuple. A l'instar des écrivains marqués par l'esprit de Souffles, Khaïr-Eddine ne conçoit pas une littérature en dehors de l'engagement. Cette prise en charge du mal collectif reste très forte dans la production romanesque de l'écrivain.
Cette dernière se construit autour du même principe de la remise en question: des origines de l'identité patriarcale et du pouvoir sous toutes ses formes. Agadir (1967) annonce une oeuvre dominée par le symbolisme du séisme touchant non seulement l'espace mais les individus et surtout les systèmes identitaires, sociaux et politiques.
Corps négatif suivi de Histoire d'un Bon Dieu (1968) s'en prend à cette trilogie du pouvoir, à ce que Khaïr-Eddine associe violemment en un même corps négatif: Dieu, le roi, le père. La subversion du pouvoir et la dénonciation politique se rattachent à la thématique fondamentale de l'oeuvre ainsi qu'à la pratique scripturale de l'auteur. Comme la plupart des écrivains de sa génération, Khaïr-Eddine pratique une littérature iconoclaste, sacrilège, qui tourne en dérision le sacré et le divin. Dieu lui-même n'est pas épargné par la démystification qui dénonce, notamment à travers la figure du fqih, une pratique détournée de la religion. L'oeuvre s'attaque à tous les agents du povoir patriarcal.
Thème dominant dans la littérature maghrébine, la verbalisation du conflit avec le père prend place comme élément fondamental dans la thématique Khaïr-Eddinienne. Figure centrale sur laquelle se focalisent la contestation du pouvir et la parole transgressive, le père est l'objet d'un discours corrosif, impitoyable et accusateur. Animalité monstrueuse, avide d'argent, cruel, libidineux, traître, lâche, le père est honni chez Khaïr-Eddine - notamment parce-qu'il a répudié la mère et abandonné le fils - jusqu'au fantasme, obsessionnel dans l'oeuvre, du meurtre toujours manqué du père, qui se dresse comme un spectre persécuteur et avec lequel les liens sont sans cesse rompus. Cette rupture avec la lignée, dont l'expression est importante dans l'oeuvre, justifie l'exil et le rejet du pays et de la société et correspond au refus d'assurer la continuité du pouvoir patriarcal, celui du commerce et de l'argent, héritage paternel et berbère auquel s'oppose l'écriture conçue comme espace et arme de la remise en cause de ce pouvoir. L'oeuvre laisse apparaître un rapport problématique avec le père et les ancêtres car il est d'ordre identitaire et culturel, à la fois rejeté et revendiqué comme "ombilic réel qui relie aux Berbères".
La question de l'identité, très forte dans toute la littérature maghrébine, se pose avec acuité chez Khaïr-Eddine, et à un double niveau, individuel et collectif. L'identité s'inscrit dans un rapport avec un espace, nommé "sudique", qui occupe une place focale dans l'oeuvre, espace géographique du Sud marocain chleuh et surtout sphère sociale, historique et culturelle. Il est d'ailleurs significatif que l'oeuvre de Khaïr-Eddine, conçue dans l'exil pour l'essentiel, soit envahie par cet espace "sudique" avec lequel l'écriture entretient des rapports ambivalents de refus et de revendications. Le dernier livre de Khaïr-Eddine, Légende et vie d'Agoun'chich (1984), exalte la dimension glorieuse et passée de l'histoire et de la culture berbères et s'inquiète de leur écroulement actuel. De ce point de vue, l'oeuvre reste toutefois dominée par le thème du lieu inaccessible, Sud mythique, Sud maternel, Sud de l'enfance: "Le Sud! Le Sud! Ma mère, la Vraie!" , Sud imaginaire et revendiqué par l'écriture qui permet, seule, le retour à cet espace avec lequel elle fusionne.
Enfin l'oeuvre demeure fondamentalement le lieu du dire sur soi, exprimant ainsi un autre aspect de la problématique de l'identité chez Khaïr-Eddine. Omniprésent, le je, un et multiple, sans cesse en dépossession de lui-même est, notamment dans Moi, l'aigre (1970), Le Déterreur (1973) et Une Odeur de mantèque (1976), atteint à son tour par le dynamitage, principe moteur chez Khaïr-Eddine. La métamorphose, le dédoublement ou l'éclatement-démultiplication du "je", l'expression d'une sexualité exacerbée, l'animalisation à travers un bestiaire foisonnant, voire la réification et enfin la mort à travers la complaisance dans le putride et la cadavérisation,sont autant de manifestations de ce qui apparaît ici comme un rejet et une valorisation de soi et dessine, en tout cas, l'espace scriptural en lieu d'interrogation sur soi et sur les origines.
1. Par wassim le 2024-02-26
tres bien
2. Par fistone le 2023-07-09
Bon courage
3. Par mouna el achgar le 2023-07-09
je suis une enseignante de la langue française et cette année je vais enseigner pour la première fois ...
4. Par Salwa le 2023-03-18
Merci
5. Par Rbandez le 2022-11-19
Trés Bon resumé
6. Par Rbandez le 2022-11-19
Trés Bon resumé
7. Par El otmani le 2022-11-01
Bonjour Merci pour votre exemple je le trouve vraiment intéressant Auriez-vous un exemple pour une ...
8. Par Ben le 2022-10-26
C'est un des articles les plus complets qu'il m'a été donné de lire sur les blogs et l'enseignement ! ...