Parmi tous les effets qui ont reçu un nom particulier (effet placebo, effet McGurk, effet Coolidge, etc.), le « doorway effect » est l’un des plus familiers et à la fois des plus surprenants (je ne connais pas de traduction française…). On a tous vécu cela : on est dans une pièce de notre maison, on pense à un truc à faire, on se déplace dans une autre pièce et, arrivé là, on se demande ce qu’on est venu y faire !
Le poète français Paul Valéry disait que l’art de la psychologie est de nous donner une idée complètement différente de ce que l’on connaît le mieux. En ce sens, le « doorway effect » pourrait être considéré comme un exemple parfait d’objet d’étude de la psychologie. Et de fait, les deux premiers articles ci-dessous (le deuxième site se spécialisant spécifiquement dans l’explication des rouages psychologiques de nos comportements familiers) montrent comment des données empiriques et théoriques de la psychologie contemporaine permettent de voir cette défaillance mnésique autrement. De la voir, en fait, comme un mécanisme adaptatif de notre mémoire de travail limitée.
On sait d’abord depuis un bon moment que nos systèmes mnésiques sont contextuels. Décider d’accomplir une tâche qui nécessite de retenir notre intention un petit moment va être soumis à cet effet de contexte.
Mais ce qu’une étude de Gabriel A. Radvansky et ses collègues a pu démontrer en 2011, c’est que cet effet est plus que cela. En effet, grâce à un dispositif ingénieux en réalité virtuelle, une personne changeait de pièce, mais revenait ensuite à la pièce originale avec un objet soustrait temporairement à sa vue car caché dans une boîte. Or quand on questionnait les sujets sur le contenu de la boîte, les réponses étaient moins précises et plus lentes même lorsque la personne était revenue dans la pièce originale, démontrant que c’était essentiellement le fait d’être passé dans une autre pièce (et non le fait d’être ou non dans la pièce originale), qui avait fragilisé ou effacé le souvenir.
On entrevoit la valeur adaptative d’un tel phénomène en considérant la capacité limitée de notre mémoire de travail. Sorti d’un contexte particulier et immergé dans un autre, de nouveaux défis se présentent à nous et nous devons y faire face, en « vidant » par exemple notre mémoire de travail pour y stocker autre chose. Maintenir son attention sur un objectif particulier malgré le changement de contexte est bien sûr possible, et aussi adaptatif, mais cela nous demande plus de concentration « top down » pour contrecarrer les impératifs « bottom up » du nouvel environnement.
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La mémoire étant par ailleurs aussi très associative, je me suis souvenu d’une image vue récemment qui illustrait très exactement le « doorway effect ». C’est l’une des trois cent et quelques images d’un livre qui m’a jeté par terre quand j’ai compris de quoi il en retournait. Car dans « Ici », de Richard McGuire, tout se passe ici, c’est-à-dire très exactement d’un même point de vue à quelque part qu’on appelle aujourd’hui le New Jersey, aux États-Unis. Ce point de vue, on va toutefois l’explorer à différentes dates indiquées en haut à gauche des images. Et c’est par là que la surprise va venir…
C’est ainsi qu’au début, on comprend que ce que l’on voit de ce point de vue est le salon de la maison où l’auteur a grandi dans la seconde moitié du XXe siècle. Parfois deux ou trois pages s’enchaînent en continuité dans le temps, mais très vite on passe des années 1950 aux années 1980, puis retour aux années 1960, puis en 2005, puis… on est dans un marais… Dans un marais ? On ne devait pas explorer la mémoire de l’auteur toujours du même point de vue ? Justement, on est toujours du même point de vue, mais on est sorti de la mémoire de l’auteur pour explorer la mémoire de l’espèce, car nous sommes maintenant au début néolithique ! Et plus loin dans le livre, on se retrouve il y a 50 000 ans. Et encore plus loin, pourquoi pas cette fois, dans le futur, en l’an 2052 ! Le coup de grâce pour moi est venu d’une page simplement colorée de nuages verdâtres suggérant qu’on était il y a plus de 3 milliards d’années, aux origines de la vie sur Terre, mais toujours où se construira en 1907 la maison où grandit McGuire au New Jersey… (pour un aperçu de la diversité des pages, tapez « Ici »ou « Here » et le nom de l’auteur dans un moteur de recherche d’images…)
Et c’est donc dans le salon de cette maison, entre une case où l’on voit des amérindiens et une autre où l’on repeint la pièce au début des années 1990, que l’on voit une femme songeuse au milieu du salon qui dit : « Hum… Pourquoi je suis venue ici déjà ? » (voir l’image ci-haut). Je ne sais pas si McGuire connaissait l’expression « doorway effect » quand il a conçu ce que plusieurs considère comme un OVNI dans l’univers des romans graphiques (voir le dernier lien ci-dessous sur un prix récent donné à la traduction française du livre), mais s’il a sélectionné cette situation, c’est qu’elle est un phénomène fréquent et emblématique de la psychologie humaine.
http://www.blog-lecerveau.org/blog/2016/06/06/quand-changer-de-piece-nous-fait-oublier-ce-quon-allait-y-faire/#more-5393
1. Par wassim le 2024-02-26
tres bien
2. Par fistone le 2023-07-09
Bon courage
3. Par mouna el achgar le 2023-07-09
je suis une enseignante de la langue française et cette année je vais enseigner pour la première fois ...
4. Par Salwa le 2023-03-18
Merci
5. Par Rbandez le 2022-11-19
Trés Bon resumé
6. Par Rbandez le 2022-11-19
Trés Bon resumé
7. Par El otmani le 2022-11-01
Bonjour Merci pour votre exemple je le trouve vraiment intéressant Auriez-vous un exemple pour une ...
8. Par Ben le 2022-10-26
C'est un des articles les plus complets qu'il m'a été donné de lire sur les blogs et l'enseignement ! ...