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S'imposer ;classe

S'imposer en classe peut-il s'apprendre ?

L’autorité n’est ni naturelle ni uniquement statutaire. Elle peut s’acquérir en analysant les pratiques et les savoirs d’action que les enseignants mobilisent dans des situations critiques.

On estime souvent que certaines personnes possèdent une autorité naturelle et d’autres ne l’ont pas. À l’inverse, on considère aussi que l’autorité pourrait découler directement du statut et de la position de pouvoir occupé. Ce sont là deux mythes profondément ancrés dans les esprits. 


Dans le domaine de l’éducation, on retrouve ces deux positions symétriques. Pour les uns, l’autorité est affaire de statut et de savoir : c’est donc de sa place dans l’institution et du savoir qu’il détient que l’enseignant tire son autorité. Pour d’autres, l’autorité est une affaire de personnes : il y a ceux qui « savent s’y prendre » avec les élèves et d’autres qui se laissent déborder. Ces deux positions ne satisfont ni le chercheur ni l’enseignant aux prises avec les difficultés quotidiennes. 


Nous faisons l’hypothèse que l’autorité peut aussi s’apprendre, se développer, s’acquérir et se transmettre (1). Cet apprentissage doit s’appuyer notamment sur les « savoirs d’action » mis en œuvre par les enseignants eux-mêmes dans leur classe, savoirs d’action qu’ils acquièrent au fil du temps entre pairs et avec des formateurs lorsqu’ils analysent leurs pratiques dans des situations contextualisées. Pour mettre au jour ces savoirs effectivement mobilisés, nous avons mené une série entretiens avec des enseignants d’écoles maternelles et élémentaires, de collèges et de lycées (2). À partir d’un moment particulier de classe vécu où il a eu le sentiment d’avoir de l’autorité, chaque enseignant a fait le récit détaillé d’une situation précise où il s’est efforcé d’exercer son autorité dans une perspective éducative. Deux exemples, qui font partie du corpus recueilli au cours de notre enquête, vont nous permettre de mettre en lumière quelques caractéristiques de l’autorité éducative tel qu’on peut l’entendre et la pratiquer dans un cadre démocratique (3). 


Exercer une autorité éducative


Francine enseigne en classe de CM1-CM2. Au cours d’une séance d’entraînement pour une manifestation sportive, trois élèves perturbent la course de relais. Devant composer des équipes pour cette épreuve et cherchant une réponse appropriée à l’attitude des trois élèves, l’enseignante décide de différer l’annonce de sa décision… 


Le samedi qui précède la rencontre sportive, en fin de matinée, Francine évoque la composition des équipes du relais. Assise près de son bureau, elle s’adresse à la classe en commençant par indiquer la date de la rencontre. Elle prend ensuite le temps d’expliquer aux élèves qu’ils vont participer à trois épreuves. Francine parle également du relais, en insistant sur le fait qu’elle doit choisir huit élèves mais sans dire lesquels. Puis, elle explicite ses critères de choix : l’intérêt de l’équipe et la valorisation des efforts de certains élèves (des qualités morales), la vitesse de course (une qualité physique). Elle cible enfin à mots couverts les trois élèves. Ceux-ci réagissent : « Ah ben oui, c’est sûr que moi je serai pas pris. » Pour ne pas humilier d’autres élèves écartés, elle prend soin d’expliquer sa décision en justifiant son choix par les qualités physiques des élèves. À travers des paroles, des mouvements d’épaules et une grande écoute de la classe qui semblait attendre qu’elle réagisse, la professeure se dit qu’elle est soutenue. Quant aux trois élèves, Francine interprète leur absence de colère comme une acceptation de sa décision. Elle vise clairement à obtenir que sa décision soit reconnue comme légitime. Le lundi après-midi, la classe se rend à la rencontre sportive. Au moment du relais près de la ligne de départ, Francine sort une feuille et nomme les élèves qui vont y participer. La classe l’écoute. Elle ne perçoit aucune surprise. 


Analysons maintenant ce qui s’est passé dans cet épisode. Les réactions des élèves confirment l’expertise des observations de l’enseignante et la justesse de son interprétation de leurs intentions, véritables guides pour son action. L’efficacité du différé associé au déploiement d’une communication efficace est également à souligner. Si l’ordre a été perturbé dans sa classe, Francine a pris son temps pour réfléchir et réagir. Elle a sanctionné les élèves perturbateurs, mais la sanction n’a pas été immédiate. Pour être comprise, elle est passée par l’énoncé d’une règle valable pour tous. Enfin, Francine n’a pas pris à partie directement les élèves, mais ils ont pourtant bien compris le message : la règle n’a pas été respectée, une sanction s’applique. Ainsi, elle n’a pas fait du comportement des trois élèves perturbateurs un problème lié à sa personne, mais a situé l’enjeu de la situation au niveau des valeurs qu’elle cherchait à transmettre.


Ce faisant, elle a mis en œuvre quelques principes caractéristiques de l’autorité éducative. À savoir : énoncer une règle indiscutable et donc légitime ; sanctionner des actes et non des personnes ; ne pas humilier les élèves. 


L’appel à la raison et à 
la capacité de décision


Passons maintenant au second exemple. Alain est professeur de mathématiques et débute dans ce collège. Début septembre, cinq élèves de troisième technologique entrent en cours coiffés d’une casquette, passent devant lui en lui tournant le dos, s’assoient au fond de la classe, le regardent, se balancent sur leurs chaises…


Le professeur ressent cette entrée comme une provocation. Il va fermer la porte de la salle, sans savoir quoi faire. Il se dit d’abord qu’il peut débuter le cours de façon habituelle, permettre aux transgresseurs de se calmer et ne pas chercher l’affrontement. De retour au bureau, Alain demande à tous de sortir leurs affaires, tout en sachant qu’une majorité l’a déjà fait, mais pas les récalcitrants. La situation semble bloquée. Alain se lève et rappelle aux trois élèves l’interdiction des casquettes en classe, de se balancer sur la chaise et réitère sa demande de sortir leur matériel. Aucune réaction. Il s’interroge sur l’opportunité de l’exclusion, solution qui lui paraît mauvaise pour installer son autorité. De plus, il n’est pas certain de sortir vainqueur du rapport physique : « La seule solution est de les garder en cours. » Il se déplace alors lentement vers le fond de la classe. Puis il explique aux cinq élèves qu’il a bien perçu leurs comportements comme une provocation dirigée contre lui, mais qu’il veut leur donner la possibilité de changer d’attitude et de se comporter comme les autres. Ces propos provoquent des discussions entre les cinq élèves. Alain reprend la parole. L’un des cinq décide alors d’enlever sa casquette et la pose sur son sac. Un autre, Willy, demande : « Et si on l’enlève pas, vous faites quoi ? » Alain parle tranquillement. Il s’adresse aux élèves sur le mode de la fausse alternative : soit ils obéissent en enlevant leur casquette et en la lui donnant ; soit ils refusent d’obéir en risquant à terme l’exclusion du collège, mais Alain ne les exclura pas du cours. Ainsi, le professeur cherche à faire mesurer à chacun les graves conséquences pour lui de l’infraction mineure commise. Il se déplace ensuite vers son bureau, puis commence son cours. Quelques instants plus tard, il observe que trois élèves ont enlevé leur casquette et l’ont posée sur leur sac. Seul Willy résiste. Alain le questionne d’une façon agressive sur ce qu’il compte faire. Willy le regarde et lui adresse un refus net : « Moi je l’enlèverai pas. » Puis il se lève, bouscule sa chaise avec colère. Cependant, Alain remarque sa position rentrante des épaules, comme soumise. Il se rapproche alors progressivement, parvient à clore la discussion en haussant le ton, et en se tenant bien droit. Il s’adresse alors à Willy sur le mode de la fausse alternative : soit il décide seul de quitter la salle et par là même risque de se faire exclure du collège, soit il décide d’obéir. Un « moment de blanc » suit. Le regard de Willy décroche, sa tête se balance, il regarde ses camarades. Le professeur interprète ces informations comme une opportunité. Il avance, pousse physiquement l’élève vers la porte qu’il ouvre. Puis il se retourne et dit « maintenant, tu décides », en montrant l’une de ses mains ouverte vers la chaise, et l’autre tenant la poignée de la porte. Willy s’assoit et donne sa casquette au professeur, qui ferme la porte. De son bureau, Alain dit à Willy : « Je crois que tu as choisi la solution la plus intelligente, donc y’aura pas de sanction. »

Après analyse, quelques caractéristiques d’une relation d’autorité éducative apparaissent bien dans cet épisode critique. Alain a fait appel à plusieurs procédés. D’abord, remarquons qu’il a refusé la sanction immédiate (l’exclusion de classe) et l’affrontement physique. Il s’est donné pour buts de rester dans une relation d’autorité – donc de ne pas recourir à la violence physique – et de maintenir le lien avec les élèves. Ainsi, il a engagé un dialogue en leur proposant de faire un choix : revenir à un comportement d’élève et rester parmi les autres. Face à Willy, l’élève récalcitrant, il le pousse dans ses retranchements, mais en lui donnant la possibilité de décider lui-même de l’issue : l’obéissance aux règles commune ou l’autoexclusion. Ce choix peut apparaître comme une fausse alternative et relever de la manipulation, mais on peut aussi voir les choses sous un autre angle : Alain fait appel à la raison et à la capacité de décision de l’élève. Quand celui-ci décide finalement d’accepter la règle, Alain lui adresse une parole de reconnaissance (« tu as pris une décision intelligente »), qui le replace en position de sujet. Tout ne s’est pourtant pas passé courtoisement. Alain a su, à un moment donné, pousser l’élève vers la sortie en restant ferme quant au choix qui s’offrait à lui, adopter une posture surplombante, hausser ou baisser la voix sans perdre le contrôle… Cependant, il ne s’est pas acharné sur Willy dès lors qu’il avait atteint son but. Ce sont là autant de savoirs d’action qui participent de son autorité. 


De quoi parle-t-on ?


Essayons maintenant de tirer quelques enseignements généraux de ces exemples et d’approfondir la réflexion sur la notion d’autorité. 


Trop souvent encore, le sens commun confond l’autorité avec le pouvoir d’un recours possible à la force, alors que l’autorité véritable est justement une influence qui s’exerce sans la force (4). L’autorité n’est donc pas l’autoritarisme, relation où le détenteur d’une position statutaire exerce une domination sur l’autre afin d’obtenir de lui une obéissance inconditionnelle, sous la forme d’une soumission. 


L’autorité ne peut être réduite non plus à cette qualité personnelle mystérieuse que l’on appelle le charisme et qui ferait que l’enseignant ne devrait compter que sur sa personne. L’autorité « charismatique », qui use en fait de la séduction au lieu de la force, vise au final à soumettre l’autre, à le garder dépendant et non à l’aider à acquérir son autonomie.


Enfin, il existe actuellement dans la relation éducative une tendance à refuser l’idée d’autorité au motif qu’elle est illégitime et antiéducative. Ce déni d’autorité se manifeste par le refus d’intervenir de certains professeurs lors d’incidents entre élèves, l’évitement de la mise en situation d’apprentissage s’il y a conflit, l’exclusion de classe ou d’établissement au prétexte que l’autorité professorale n’est pas acquise d’emblée, que l’élève réel n’est pas l’élève attendu. D’une manière générale, cette conception n’est pas sans risques pour l’enfant ou l’adolescent considéré comme prématurément responsable de ses actes. 


L’enjeu de l’exercice d’une autorité éducative consiste justement à maintenir quoiqu’il arrive la relation d’éducation, sans céder à l’autoritarisme, à la séduction charismatique ni « évacuer » l’autorité en laissant le jeune se chercher seul ses propres limites. Il en va, en un sens, de l’avenir de la fonction d’éducation dans nos sociétés.

 

http://www.scienceshumaines.com/s-imposer-en-classe-peut-il-s-apprendre_fr_29784.html

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