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Questions pédagogiques

Aujourd’hui, tout le monde est conscient de la dégradation et du recul de système éducatif au Maroc. Quelles en sont les causes et comment peut on y remédier?

La mixité sociale une chance pour les élèves

Parents

La mixité sociale à l’école reste un principe fort et consensuel en France. Mais sa mise en œuvre se heurte aux résistances des familles.

Rassembler toute une classe d’âge, sans distinction, pour apprendre et vivre ensemble, cela peut paraître une évidence dans un système éducatif financé par des fonds publics. L’école, en particulier au stade de la scolarité obligatoire, n’a-t-elle pas le devoir de doter tous les enfants d’une éducation commune leur permettant de s’intégrer dans la vie et de s’y côtoyer sans heurt ? La mixité sociale est alors une exigence et un principe peu contestable (1). Pour cela, le système doit offrir à tous des conditions d’accueil et d’apprentissage de qualité égale. Or, quand les publics scolaires sont clivés – les plus favorisés d’un côté, ceux qui le sont moins de l’autre –, ce que le système offre aux élèves est souvent de qualité inégale : parce qu’il y a des communes riches ou pauvres certes, mais aussi parce que les enseignants ne sont pas répartis au hasard, les plus expérimentés recherchant les publics qui leur semblent poser le moins de problèmes. Les élèves eux-mêmes sont effectivement plus ou moins préparés à ce qu’exige l’école et le climat scolaire s’en ressent : il est plus facile d’enseigner et d’apprendre dans les établissements « chics » que dans les établissements au public populaire (2). Et l’absence de mixité sociale – la ségrégation sociale – va de pair avec une hiérarchisation des niveaux scolaires.

La ségrégation affecte l’efficacité pédagogique elle-même. En effet, regrouper les élèves les plus faibles – « pour leur bien », dit-on parfois, mais aussi par le jeu des options ou tout simplement du quartier – fabrique des classes où les chances d’apprendre sont systématiquement plus faibles : les enseignants y adaptent leurs ambitions et leurs méthodes au niveau de leurs élèves et les élèves eux-mêmes développent – ils savent bien qu’ils sont faibles – des attitudes et des comportements peu favorables au travail. Cette dynamique négative à l’œuvre dans les classes ségréguées socialement et scolairement « par le bas » s’inverse dans les classes tout aussi ségréguées où se regroupent les élèves les plus favorisées. Ces derniers y « gagnent » donc – meilleure couverture des programmes, climat plus propice au travail, acquisitions plus assurées… Mais ce que gagnent les plus favorisés à une ségrégation « par le haut » est bien plus modeste que ce que perdent les moins favorisés à une ségrégation par le bas et si les meilleurs élèves vont donc apprendre un petit peu moins dans des classes hétérogènes, les plus faibles vont, quant à eux, apprendre bien plus (3).

Au-delà de ces effets sur les performances, qui restent globalement modestes, la mixité sociale homogénéise les aspirations des élèves : les élèves de milieu défavorisé font preuve, quand ils sont mêlés à des camarades plus favorisés, de visées scolaires plus ambitieuses. Un certain nombre de recherches (jusqu’alors essentiellement anglo-saxonnes) montrent également un impact de la mixité sociale sur la tolérance (4). Bref, vivre ensemble rend les jeunes plus ouverts et en quelque sorte plus ressemblants. Autant de bonnes raisons pour défendre des classes hétérogènes et, vu le lien entre niveau scolaire et origine socioculturelle, mélangées socialement.

Prendre le parti de tous les élèves

Mais la mixité sociale n’est pas sans poser problème. En particulier pour les élèves de milieu populaire, la confrontation avec des camarades de milieux plus favorisés peut engendrer des tensions, à un âge où la comparaison entre pairs (sur les goûts, les modes d’expression…) est très prégnante, avec parfois, à la clé, un sentiment de stigmatisation ou de dévalorisation (5). Du côté des parents, si la mixité sociale est un atout pour les plus faibles, elle peut être perçue par les plus favorisées comme détériorant les conditions de travail et les apprentissages eux-mêmes.

La responsabilité des politiques est alors complexe (6) : au-delà des mesures réglementaires nécessaires (redéfinition des secteurs de recrutements, manière d’y intégrer les établissements privés…), et au prix d’une redistribution des moyens aux établissements les moins favorisés, la priorité est d’assurer que les chances d’apprendre sont bien égalisées quels que soient les établissements. C’est un gage essentiel d’acceptabilité sociale, notamment de la part des parents les mieux informés, et c’est aussi une manière d’égaliser les conditions de travail des enseignants. Il serait alors moins difficile de convaincre les parents qu’éduquer ensemble toute une classe d’âge est bénéfique à tous. Aujourd’hui, alors que la mixité sociale est présentée comme un objectif consensuel, les parents les plus favorisés fabriquent activement de la ségrégation par le haut, en fuyant certains établissements, même s’ils se sentent parfois quelque peu coupables. De même, les enseignants, s’ils adhèrent au principe de la mixité sociale, ont tendance à laisser les établissements populaires les plus ségrégués à leurs collègues débutants… Au-delà de ces intérêts privés, c’est aux responsables politiques de prendre le parti de tous les élèves. C’est là une exigence républicaine : alors que dans notre pays, on met volontiers en avant le « handicap socioculturel » pour expliquer les inégalités sociales à l’école, une part de l’avantage dont disposent les enfants de milieu favorisé résulte du fait qu’ils ont accès à des contextes plus formateurs, ce qui est évidemment contraire à l’idéal proclamé d’égalité des chances.

Mixité : le public fait-il toujours mieux que le privé ?

Zep, collèges publics ou privés…, quels sont les établissements qui contribuent le plus à la mixité sociale ? Une étude menée par l’Édhec bouscule l’idée que la gratuité scolaire entraîne forcément plus de brassage social. Entre 2004 et 2014, la mixité des collèges n’a quasiment pas progressé. Par ailleurs, « les collèges privés sont surreprésentés parmi ceux qui contribuent le plus à la mixité sociale : alors qu’ils ne représentent que 20 % de l’ensemble des établissements, 50 % des collèges privés appartiennent au tiers des écoles les plus mélangées socialement », relève l’économiste Pierre Courtioux. À l’inverse, « le secteur public concentre en son sein des établissements plus ségrégués socialement, notamment dans les secteurs où une politique d’éducation prioritaire est déployée ». Ainsi, les collèges en zep sont quasiment absents des établissements les plus mixtes. Le constat est surprenant sachant que les collèges privés accueillent 43 % des enfants de chefs d’entreprises mais seulement 10 % des enfants d’ouvriers. L’une des explications avancées par l’étude est que dans certains départements, comme le Nord, le secteur privé permet « d’assurer un niveau de mixité sociale aussi élevé que celui de la moyenne nationale dans un environnement plutôt défavorisé ». Dans certains départements catholiques comme le Finistère ou la Vendée, le choix du privé, très présent, est souvent dicté par des motivations religieuses. En revanche, en Île-de-France, où les frais d’inscription pratiqués par le privé sont particulièrement onéreux, très peu de collèges privés se distinguent pour leur hétérogénéité sociale. Le choix du privé semble alors davantage entrer dans une logique d’entre-soi, avec une propension à la « ghettoïsation par le haut » (Pierre Merle). 

• « Dix ans de mixité sociale au collège : le public fait-il vraiment mieux que le privé ? »
Pierre Courtioux, Édhec, 2016.
• La Ségrégation scolaire
Pierre Merle, La Découverte, coll. « Repères », 2012.

Florine Galéron

Marie Duru-Bellat

Sociologue, chercheure à l’OSC et à l’Iredu, elle a publié, entre autres, avec François Dubet et Antoine Vérétout, Les Sociétés et leur école. Emprise du diplôme et cohésion sociale, Seuil, 2010.

 

Connaissances ou compétences, que transmettre ?

La question de la transmission scolaire a toujours fait débat. Le vieil affrontement entre tenants de l’instruction et ceux de l’éducation resurgit aujourd’hui, à travers de virulentes critiques de la notion de compétences.

Il n’est guère de question plus centrale pour l’école que de définir ce que l’on juge bon et nécessaire d’y transmettre aux élèves. Depuis plusieurs décennies, les débats autour de ce que l’école doit transmettre sont marqués par une opposition polémique : faut-il transmettre aux élèves des compétences – savoir prélever une information dans un texte, par exemple, ou des savoirs – ou leur faire connaître une récitation par cœur ? Cette opposition recouvre sans nul doute des positions idéologiques, mais elle soulève aussi de vraies questions pédagogiques et philosophiques.

L’école et le monde du travail

La carrière de la notion de compétence débute en France à l’orée des années 1980, après que nombre de critiques ont ébranlé l’école (1). Elle devait accepter de ne plus avoir le monopole de la transmission des connaissances et admettre que les savoirs scolaires ne sont ni sacrés ni indiscutables. En outre, Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron sont passés par là (avec La Reproduction publié en 1970) et la critique de l’élitisme de la culture scolaire constitue une figure obligée, d’autant qu’avec la démocratisation des études, le lycée n’accueille plus seulement des « héritiers ». Les débats se nichent aussi dans un contexte de relatif dégel des relations entre l’école et le monde du travail et d’efforts pour revaloriser les formations professionnelles, avec le développement de la formation continue et des collaborations avec les milieux de l’entreprise qui importent dans le milieu scolaire des questionnements jusqu’alors incongrus : et si l’alternance pouvait être « éducative », de quoi a-t-on besoin pour s’insérer dans la « vraie vie » ?

Ces questionnements, certains pédagogues progressistes les avaient avancés depuis longtemps. Les pédagogues de l’éducation nouvelle (Ovide Decroly, Célestin Freinet, John Dewey…) prônaient une pédagogie active, rendant l’élève autonome dans la construction de ses savoirs, en d’autres termes compétent bien plus que savant. À partir des années 1970, de nombreux pédagogues donnent la priorité aux méthodologies d’apprentissage (« apprendre à apprendre ») par rapport aux savoirs disciplinaires, dans la mouvance du sociologue britannique Basil Bernstein. Celui-ci défendait une pédagogie « visible », découpant et explicitant les apprentissages, ainsi plus faciles à maîtriser par les élèves culturellement les plus éloignés de l’école, à l’opposé de cette pédagogie « invisible » opaque et élitiste, emblématique des lycées français d’alors. On entendait par là substituer à la hiérarchie des savoirs une représentation plus horizontale de la diversité des compétences, donnant ainsi une chance à chacun.

La science 
contre le marché ?

En France, sous l’étendard de pédagogues comme Philippe Meirieu, de nouveaux concepts pédagogiques apparaissent comme l’interdisciplinarité, la pédagogie par objectifs, ou par contrat, le travail de groupe, l’individualisation… La priorité est de former des personnes autonomes, à même de se débrouiller dans la vie, grâce à une gamme ouverte de « savoir-faire » et de « savoir-être ». Même si des intellectuels comme Alain Finkielkraut se déchaînent alors, au nom de la République, contre ces pédagogues qui attaquent les savoirs et sacrifient l’instruction à l’éducation (2), les textes officiels entérinent cette évolution. En France, la charte des programmes de 1992 consacre la notion de compétences exigibles en fin de formation, et le programme devient ainsi un « contrat d’enseignement », avec un élève que la loi d’orientation de 1989 place « au centre du système ».

D’emblée, la notion de compétence a suscité des réticences. Les enseignants sentaient bien qu’elle véhiculait subrepticement une conception différente des savoirs et du rôle de l’école, en promouvant un apprentissage en acte, un bricolage jugé à son efficacité en quelque sorte et que tout élève autonome pouvait réussir. Formés à la maîtrise d’une discipline, valorisée pour elle-même et fondement de leur autorité, ils ne pouvaient ignorer que cela augurait d’une transformation de leur travail avec les élèves, et revenait à contester la vertu intrinsèquement éducative, démocratique, libératrice, des savoirs disciplinaires, tels que définis et délivrés par eux seuls.

Depuis les années 2000, la critique de l’approche par compétences prend une nouvelle tournure : ne consacre-t-elle pas une entrée en force du néolibéralisme à l’école (3) ? Dans un monde du travail où les qualifications requises sont imprévisibles et variées, le travailleur, pour être efficace, doit se mobiliser, se montrer flexible et polyvalent. Et c’est bien pour répondre à ces besoins de l’économie et soutenir la croissance économique, suprême arbitre, que l’OCDE s’est investie dans les questions de formation, encourageant les États à rationaliser leurs systèmes éducatifs pour doter les jeunes des compétences dont ils auront besoin dans leur vie, en premier lieu professionnelle. Avec les enquêtes Pisa lancées en 2000 sous son égide, on entend évaluer les compétences des élèves de 15 ans dans trois domaines : compréhension de l’écrit, mathématiques, culture scientifique. Au-delà des programmes nationaux, l’essentiel est d’appréhender ce que les jeunes sont capables de faire à 15 ans ; par exemple, sont-ils capables de comprendre, d’utiliser et d’analyser des textes écrits ?

Une fois les compétences entrées à l’école, s’est mise en place toute une machinerie évaluative qui a de quoi rendre perplexes les enseignants : comment chiffrer le degré de maîtrise de compétences atomisées et parfois fort abstraites telles qu’« adapter sa communication en fonction du contexte » ? Et puis, comment être sûr que ces compétences que l’on s’échine à évaluer et qui seraient la sanction suprême de l’efficacité de l’enseignement sont bien transférables : la performance d’un élève – il parvient à comprendre tel texte écrit – garantit-elle, au-delà de l’exercice réussi, une compétence générale, quels que soient les textes et toute sa vie durant ?

De fait, si l’on dégage ces réticences de leur gangue corporatiste ou idéologique, l’approche par compétences soulève de vraies questions, essentielles pour les pédagogues (4). Celle du transfert tout d’abord : comment faire en sorte que les apprentissages réalisés en classe permettent à l’élève d’apprendre ensuite, quand il le faudra ? Mais aussi et plus largement, comment faire en sorte que ces savoirs soient véritablement formateurs, c’est-à-dire aident l’enfant à s’épanouir et à s’insérer dans la vie ?

Vastes questions, mais que l’on ne peut éluder en préconisant un retour à la primauté des savoirs : il n’est pas possible pour penser ce que l’élève devient, grâce à ses apprentissages, capable de faire, d’opposer savoirs et compétences. Pour réussir à utiliser une machine quelle qu’elle soit, on ne saurait soutenir qu’il suffit de connaître sur le papier son fonctionnement (ou de lire les instructions), ou bien, selon l’approche par compétences, de la manipuler… Le savoir joue un rôle dans l’action, pour déboucher sur la maîtrise.

Une dictature de l’utile ?

Une autre vraie question concerne cette primauté de l’utile que distillerait l’approche par compétences. La rhétorique du « à quoi ça sert » est d’autant plus mobilisée que l’on juge les élèves a priori peu intéressés par la chose scolaire. De plus, le contexte de l’emploi rend prioritaire le caractère « rentable » de ce que l’on apprend. Il n’y a là rien de méprisable : réussir sa vie ne se réduit pas à passer dans la classe supérieure grâce aux savoirs scolaires accumulés, chacun a besoin de trouver un débouché dans le monde du travail tel qu’il est. Il n’en demeure pas moins qu’il est fort hasardeux de délimiter l’utile d’aujourd’hui par rapport aux incertitudes de demain. De plus, tenter de motiver les élèves par l’utile les rend… utilitaristes et tue le sens de tous les apprentissages à l’utilité incertaine, sans compter les déceptions que la vie leur réservera à cet égard.

En filigrane, il y a la question de savoir quelle éducation l’on promeut si l’on accepte cette dictature de l’utile. La philosophe Martha Nussbaum (5) dénonce une éducation « tournée vers le profit ». Elle promeut au contraire une éducation à la démocratie, développant l’indépendance d’esprit, l’imagination et la capacité d’empathie, et fondée pour ce faire sur les humanités et les arts. Il ne s’agit pas de promouvoir une discipline de plus, mais un état d’esprit, en invitant les élèves à se mettre dans la peau d’un personnage de roman, à analyser leurs émotions devant une œuvre d’art, à s’étonner de si bien comprendre les propos d’un auteur – philosophe ou politique – datant de plusieurs siècles… Éduquer, ce serait aussi permettre aux élèves d’éprouver le plaisir des découvertes gratuites, le plaisir de surmonter la difficulté d’un raisonnement, le plaisir de comprendre, de « retrouver le sens des savoirs et de la culture »…
(6)

Si les débats savoirs versus compétences sont si vifs, c’est parce qu’ils interrogent la nature, l’ambition et les modalités d’une éducation qui ne se réduit pas à la transmission de savoirs. La notion de compétence a le mérite d’expliciter les objectifs que l’on vise et par conséquent d’ouvrir le débat sur ce que doit être le projet éducatif de notre école : si l’on peut contester le caractère démocratique des directives européennes en matière de compétences à transmettre, est-on si sûr que la façon dont le monde académique liste les savoirs disciplinaires à mettre au programme l’est beaucoup plus ? Une véritable réflexion sur la culture à dispenser à tous exige de dépasser l’opposition savoirs/compétences (7), mais aussi de se poser d’autres questions, peut-être (encore) plus dérangeantes, celle du bien-fondé du monopole de l’école et des spécialistes d’une discipline sur l’éducation, de la valeur formatrice d’une éducation par le « tout intellectuel ».

(1) Voir Françoise Ropé et Lucie Tanguy (dir.), Savoirs et compétences. De l’usage de ces notions dans l’école et l’entreprise, L’Harmattan, 2003.
(2) Voir Martine Fournier, « École : l’instruction contre l’éducation », Sciences Humaines, n° 178, janvier 2007. 
Disponible sur www.scienceshumaines.com/
(3) Voir Christian Laval et al., La Nouvelle École capitaliste, La Découverte, 2011, ou Angélique Del Rey, À l’école des compétences. De l’éducation à la fabrique de l’élève performant, La Découverte, 2010.
(4) Voir Marcel Crahay, « Dangers, incertitudes et incomplétude de la logique de la connaissance en éducation », Revue française de pédagogie, n° 154, janvier-février-mars 2006.
(5) Pour une présentation de ses thèses, voir www.laviedesidees.fr/L-utilite-sociale-des-humanites.html.
(6) M.Gauchet « Contre l’idéologie de la compétence, l’école doit apprendre à penser » (Le Monde, 02/09/2011). Voir aussi Marie-Claire Blais, Marcel Gauchet et Dominique Ottavi, Pour une philosophie politique de l’éducation, Bayard, 2002.
(7)Voir les réflexions de Philippe Perrenoud : « Le socle et la statue », Cahiers pédagogiques, 2006, n°439, 16-18.

 

http://www.scienceshumaines.com/connaissances-ou-competences-que-transmettre_fr_28987.html

L'enfance des génies

Dynamiser votre cerveau 1

Les grands génies ont eu, eux aussi, une enfance. L’éveil de l’intelligence est parfois capricieux : nombre d’entre eux n’ont pas été de jeunes prodiges. Comment s’est développée l’intelligence des grands génies ? Enquête sur l’enfance de ces êtres exceptionnels. Par Robert Clarke

Notre monde ne serait pas le même si n’avaient pas existé Einstein, Homère, Galilée, Mozart, Newton, Picasso, Darwin, Freud ou Marie Curie. Ces hommes et ces femmes exceptionnels ont joué un rôle capital dans le développement de la culture de l’humanité, en lui permettant des avancées fulgurantes dans de nombreux domaines de la science, de la médecine, des lettres ou des arts. Quelle est la raison de l’apparition d’un génie ? Il se peut que sa venue au monde soit due à un concours de circonstances dont la réunion tient à l’un de ces hasards dont la nature est coutumière, et qui échappent encore à toute explication scientifique. Mais rien n’interdit de chercher à percer le mystère en étudiant les circonstances de la naissance et de l’enfance des êtres exceptionnels.


Il n’existe pas de familles de génies.
Le génie serait-il héréditaire ? Rien ne l’indique ! Le seul exemple qui viendrait à l’appui de cette hypothèse serait celui de la famille Bach : parmi les 54 ancêtres, collatéraux et descendants mâles de Jean-Sébastien, 46 furent des musiciens professionnels et 17 des compositeurs. L’année de sa mort, 120 membres de sa famille se réunirent pour jouer ensemble, comme on le faisait depuis des générations. Chez les Bach, on naissait, on vivait, on mourait en musique. En revanche, on n’a recensé aucun musicien dans l’entourage de Schumann. On ne connaît pas de familles de génies, tout au plus existe-t-il des familles de talents, comme les Dumas, les Brontë, les Rostand, les Daudet, les Curie, les Perrin, les Breughel, les Scarlatti, ou les Purcell. Ici, l’influence héréditaire peut jouer. Sur le plan biologique, on n’a jamais trouvé de gène du génie, et tout laisse à croire qu’il n’existe pas. L’hérédité de l’homme, si complexe qu’elle apparaisse au profane, est en réalité trop pauvre pour expliquer à elle seule la formation d’un cerveau de génie. L’idée du prix Nobel William Shockley, l’inventeur du transistor, de créer une banque de sperme alimentée par des personnages très intelligents, pour donner naissance à de grands esprits, a suscité une protestation unanime dans le monde scientifique et n’a jamais abouti à aucun résultat. De toute manière, les biologistes sont d’accord pour estimer que l’hérédité n’est pas un facteur déterminant dans la genèse d’un génie. L’anecdote est célèbre parmi eux : le père est syphilitique, la mère tuberculeuse, des quatre enfants, le premier est aveugle, le second diminué, le troisième sourd-muet, le quatrième tuberculeux. Faut-il interrompre la cinquième grossesse ? Dans ce cas, vous supprimez Ludwig van Beethoven. On se souvient du dialogue entre la belle danseuse Isadora Duncan et le grand dramaturge Bernard Shaw. “Faisons un enfant, disait-elle : avec ma beauté et votre intelligence, il sera merveilleux”. Et Bernard Shaw de répondre “Et si c’était l’inverse ? “


Le rôle de l’environnement.
Peut-on tenter de mieux comprendre l’apparition de ces esprits exceptionnels en remontant aux circonstances de leur naissance et de leur petite enfance ? C’est une démarche tentante, mais la diversité des circonstances de leur venue au monde et du début de leur vie pose davantage de questions qu’elle n’apporte de solution. Certains sont nés dans un environnement qui facilita l’éclosion de leurs dons. Mozart, comme Bach, naquit dans une famille de musiciens et fut aidé dès leur plus jeune âge par leurs parents. Le père de Blaise Pascal fit tout pour que son fils se familiarise le plus tôt possible avec les mathématiques. Celui de Stuart Mill, le brillant économiste et philosophe anglais, soumit son fils à une discipline de fer, l’obligeant à apprendre le grec et le latin à 3 ans, sans l’autoriser à la moindre distraction. La mère du grand architecte Franck Lloyd Wright avait décidé de la carrière de son fils dès sa naissance. Il était encore au berceau qu’elle l’entourait d’images de beaux édifices. Le père de Picasso était peintre et lorsqu’il vit le talent de dessinateur de son fils, il fit tout pour l’encourager. Mais il comprit vite que les dons de son fils dépassaient les siens. Picasso raconte qu’il dessinait avant de parler. Le premier mot qu’il prononça fut ”piz, piz”, pour lapiz - crayon. L’importance de l’environnement familial sur le développement de l’enfant a été illustrée par plusieurs observations faites sur des enfants adoptés : ceux placés dans des familles aisées, dont le comportement est particulièrement attentif à leur développement, deviennent plus intelligents. L’analyse des réponses aux tests destinés à mesurer le quotient intellectuel montre, par ailleurs, que nous sommes plus intelligents que nos parents et nos grands-parents. Est-ce vrai ? Les spécialistes ont tendance à penser que cela traduit surtout une plus grande facilité à bien répondre à ces tests, ce qui résulte d’un environnement différent, lequel nous familiarise davantage avec les raisonnements logiques et les images, et nous permet donc de mieux répondre aux tests du QI. (1) De toute manière, on ne constate pas qu’il existe davantage de génies aujourd’hui qu’au cours des siècles passés. Mais cela confirme l’importance de cet environnement dans le développement intellectuel des enfants. Mozart aurait-il été Mozart s’il était né dans un petit village africain, loin de toute activité artistique, de toute éducation ? Ou plus simplement dans un milieu sans affinité musicale ? Combien d’éventuels Einstein, combien de Newton ont-ils fini comme leurs parents, contraints de cultiver leur maigre champ pour subsister, éloignés de toute possibilité de développer leurs dons ?


Le bébé naît homme.
Un apprentissage précoce serait-il favorable à l’éclosion de dons remarquables ? Les psychologues mettent tous, depuis Jean Piaget, l’accent sur l’importance de cet apprentissage, qui se développe surtout autour de l’âge de 2 ans. Pourrait-on fabriquer ainsi un génie ? Certains estiment qu’on peut développer chez un enfant n’importe quel don, même exceptionnel, en s’y prenant très tôt et en plongeant l’enfant dans l’ambiance correspondante. Ils estiment que tout enfant naît intelligent et qu’il est ouvert à tout ce qui excite sa curiosité naturelle, son besoin inné d’imaginer, de créer, d’inventer, de comprendre. Le bébé naît humain, dit le neuropsychologiste Jacques Mehler, ce qui signifie qu’il vient au monde avec la faculté de penser. C’est ce qui lui permet d’appréhender l’environnement extérieur, de dialoguer avec lui, d’apprendre à parler - ce qui correspond, si l’on y réfléchit un peu, à une remarquable prouesse intellectuelle. Le neuropsychiatre Roger Vigouroux propose une théorie originale, basée, dit-il, sur des observations biologiques, pour expliquer la genèse de dons exceptionnels chez l’enfant (2). Il suppose que les capacités artistiques, qu’il prend pour exemple, dépendraient du taux d’hormones mâles arrivant au cerveau pendant la grossesse. Cela commanderait l’organisation de connexions nerveuses susceptibles de modifier la latérisation de certaines fonctions du cerveau de l’enfant à naître, pouvant aboutir, soit à l’apparition de déficits, comme la dyslexie, soit à l’éclosion de dons particuliers. Le développement de certaines capacités à un niveau supérieur, dit-il encore, pourrait dépendre de l’accroissement excessif de certaines parties du cerveau par rapport à d’autres. Il cite le neurophysiologiste Jean-Pierre Changeux qui souligne l’importance de l’apprentissage précoce, en disant qu’apprendre, c’est choisir parmi une multitude de câblages neuronaux possibles, processus qui se développe tandis que l’enfant suit l’empreinte culturelle de son milieu. L’organisation d’un cerveau dépend de l’histoire et du contexte de son développement. De son côté, le psychiatre Philippe Brenot montre que, parmi les dons précoces, celui de la musique vient en premier lieu, suivi de prédispositions pour les mathématiques, puis pour le dessin, la création littéraire venant en dernier lieu, ce qui s’explique car il est nécessaire que le langage soit bien maîtrisé pour que l’écriture puisse s’exprimer (3). Cependant, Jean-Paul Sartre commença à cinq ans de remplir des cahiers de ses écrits. Beaucoup de grands musiciens furent précoces. Mozart et Saint Saens composèrent à 5 ans, Haydn à 6 ans, Mendelsohn, Chopin ou Schumann à 9 ans. Liszt se produit en public à cet âge, auquel Debussy entre au Conservatoire de Paris. Prokofiev écrit quatre opéras entre 9 et 14 ans. Strawinsky commença à composer dès qu’il fut en mesure d’atteindre le piano. À 2 ans, il étonna sa famille en chantant ce qu’il avait entendu chez des paysannes qui passaient devant la maison. Cela peut aussi s’expliquer par le fait, prouvé par de nombreuses observations, que l’oreille du fœtus est fonctionnelle très tôt, dès six mois : il entend à la fois les bruits internes du corps de sa mère et ceux qui viennent de l’extérieur. À la naissance, l’enfant montre très vite son intérêt pour la musique - avec une préférence pour celle qu’il a entendue alors qu’il était dans le ventre de sa mère. Il chantonne spontanément avant de babiller. Certains mieux que d’autres : les grands musiciens feront de la musique avant de parler. Un violoniste japonais, Shinushi Suzuki, imagina, après la deuxième guerre mondiale, de susciter des talents musicaux exceptionnels en plaçant les enfants, dès la première année de leur vie, pratiquement depuis leur naissance, dans une ambiance musicale quasi permanente. Dès qu’ils ont deux ans, il les soumet à un entraînement intensif, souvent en groupe, avec l’aide de leur famille. La méthode a donné quelques excellents instrumentistes, mais aucun génie musical.
En ce qui concerne l’aptitude aux mathématiques, le neurologiste Stanislas Dehaene a montré que le fait de calculer intéresse plus spécialement certaines zones du cerveau, dans le lobe frontal et pariétal. Bien qu’il se défende de cette conclusion, il n‘est pas exclu qu’elles soient anormalement développées chez les génies mathématiques, comme chez les calculateurs prodiges, que nous avons évoqués dans le numéro précédent (Le Monde de l’intelligence n° 3, page 40). D’autres recherches du même auteur montrent que le sens des nombres est probablement inné chez l’homme, de la même manière que le linguiste Noam Chomsky croît que nous possédons un sens inné du langage.

L’intelligence s’éveille parfois tard.   
Nombreux sont les génies qui n’ont pas été de petits prodiges et dont l’intelligence s’éveillera tard. Einstein ne parla pas avant l’âge de 3 ans, fut un enfant solitaire, renfermé, lent. Il eut toujours de grandes difficultés à apprendre ce qui ne l’intéressait pas - les langues étrangères, par exemple, son anglais fut toujours exécrable. Il fut refusé au concours d’entrée à l’École polytechnique de Zurich, pour sa faiblesse dans la plupart des matières. Seules les mathématiques et la physique le passionnaient. C’est à l’âge de 5 ans, quand on lui offrit une boussole et qu’il fut étonné par son fonctionnement que son esprit scientifique commença à s’éveiller. Churchill fut considéré pendant plusieurs années comme un retardé mental. Certains commencèrent par une scolarité banale, parfois mauvaise. Darwin fut jugé par ses maîtres comme “une faillite intellectuelle” et passa pour un élève médiocre jusqu’à l’âge de 17 ans. “Vous ne vous souciez que de chasse, de chiens et de rats, vous serez la honte de la famille”, lui disait son père. Walter Scott était considéré pour un idiot dans son enfance, Edison resta toujours le dernier de sa classe. Anatole France fut un écolier quelconque. Evariste Galois, mathématicien génial, mort dans un duel stupide à 21 ans, qui passa sa dernière nuit à noircir des liasses de papier de formules qu’on mettra un siècle à comprendre, n‘alla à l’école qu’à l’âge de 12 ans et ce n’est qu’un an plus tard qu’il eut la révélation des mathématiques. Il en fut de même pour Sophie Germain, l’une des rares femmes célèbres en mathématiques, qui décida à l’âge de 13 ans que ce devait être la chose la plus importante au monde en lisant qu’Archimède fut tué par un soldat romain dont il n’avait pas entendu la question, tant il était absorbé par un dessin géométrique.

Tchaikovsky travaillait dans un ministère et n’entra au conservatoire qu’à 22 ans. C’est à 33 ans que Gauguin abandonna son métier d’employé de banque pour devenir peintre. Matisse était clerc de notaire à Saint-Quentin, c’est parce qu’il fut immobilisé par une maladie qu’il s’intéressa à la peinture. Van Gogh commença à peindre à 27 ans. Shakespeare écrivit ses principales pièces entre 30 et 40 ans. Il faut parfois faire preuve de patience pour être un génie. ♦

 


(1) Ulric Nessler La Recherche N° 309
(2) Roger Vigouroux. La fabrique du beau (Éd. Odile Jacob)
(3) Philippe Brenot. Le génie et la folie (Éd. Plon)

Enseignement à distance : les erreurs à éviter

On est en période de confinement. Et tout passe par la formation et l’enseignement à distance. 
Sacré changement.

Il y a 2 situations

La première : vous avez déjà l’habitude avec vos élèves d’utiliser les plateformes pédagogiques.

Dans cette crise, le passage à 100% à l’enseignement à distance est plus évident. Il n’y a plus de classe physique, c’est tout. Vous (et vos élèves) en perdez l’avantage.

Le changement dans cette période de confinement est moins brutal.

Mais le danger n’est pas moindre : celui de se reposer sur une plateforme pédagogique, et de perdre le lien avec ses élèves sans le savoir.

La deuxième est plus brutale, plus radicale : du jour au lendemain, finie votre présence devant vos élèves. Maintenant, tout l’enseignement à distance. Chers élèves, à vos PC et vos tablettes ! Certes, nous sommes à l’heure du numérique. N’empêche, ce changement soudain et sans préavis du mode d’enseignement vous crée une angoisse. Malgré les promesses de plateforme pédagogique opérationnelle de l’Éducation nationale, vous avez comme un désagréable sentiment d’impréparation.

Dans ces périodes de changement, qu’ils soient brutaux ou pas, au début c’est toujours du tâtonnement. Les moments « galères » ne tardent pas à venir. Cela peut s’apparenter à un bricolage qui fait émerger un sentiment de culpabilité. Mais, la solution se construit pas à pas. 
C’est un processus tout à fait normal.

Qu’elles soient à distance ou qu’elles se déroulent face à une classe, la formation et l’enseignement répondent à un objectif : l’efficacité de la transmission du savoir.

Pour atteindre cet objectif, des erreurs sont à éviter et quelques principes à respecter.

Dans cette première partie du dossier, nous allons voir les 4 erreurs à éviter dans l’enseignement et la formation en ligne.

C’est ce que l’on va voir dans ce dossier.

Erreur n°1 – Penser quel’enseignement et la formation à distance sont un mode  au rabais de la transmission du savoir

Savez-vous qu’un nombre croissant d’universités dispensent des cursus exclusivement en ligne avec, au final, la délivrance d’un diplôme ?
Vous en douteriez ?
Aux États-Unis dans l’enseignement supérieur 16% de ses étudiants soit 3,2 millions suivent un enseignement uniquement à distance en 2018. Et, près de 18% des étudiants américains suivent des cours mixtes : des cours dispensés en présentiel avec des cours en ligne [1].

À l’université d’Harvard, pas moins d’un étudiant sur trois suit des cours en ligne [2]. 
L’université de Stanford a formé exclusivement par distance plus de 20 millions de personnes dans le monde [3]. Ce n’est pas rien !

Comme vous le voyez, les cours en ligne permettent de s’affranchir des frontières, et de faire bénéficier des enseignements de qualité un grand nombre de personnes à travers le monde.

Serait-ce un phénomène essentiellement américain ? Détrompez-vous.

En France L’université de Bourgogne, Bordeaux ou encore Rennes sont pionnières dans l’enseignement à distance.

Et, n’oublions pas le CNED, institution publique créée en 1939, où il est possible de préparer un diplôme exclusivement à distance [4].

La formation et l’enseignement à distance ce n’est pas quelque chose de nouveau ! Alors c’est vrai, il s’agit ici essentiel de l’enseignement supérieur.

Ce qui est difficile, ce n’est pas tant l’enseignement à distance en lui-même, que l’impréparation à une pratique pédagogique nouvelle. Avec les mesures de confinement suite au COVd19, le passage du 100% présentiel au 100% à distance est brutal. C’est un choc ! Les enseignants se retrouvent désœuvrés et livrés à eux-mêmes. Certes, des plateformes pédagogiques sont mises à disposition. Mais comment s’en servir efficacement ? La plupart des enseignants ignorent ou connaissent mal les principes de base de l’enseignement à distance (que nous verrons dans la 2ème partie de ce dossier). Et, c’est normal.

Erreur n°2 – Penser que la formation en présentiel est bien mieux que la formation en ligne

Si vous avez essentiellement dispensé des cours en présentiel, il est légitime d’y trouver de nombreux avantages : on a ses élèves devant soi, l’interaction (via les questions-réponses) est instantanée. La relation avec vos élèves est de bien meilleure qualité. Rien à voir de celle que l’on trouve derrière un écran.

Mais, le piège tendu par le biais cognitif de confirmation d’hypothèse (prisme cognitif qui nous pousse à ne voir que les arguments qui renforcent notre opinion, notre croyance) est de figer sa pensée sur ce point de vue pour en faire une certitude.

Rien de mal à cela. Mais, face aux changements, l’état d’esprit se crispe. S’adapter, trouver des solutions devient laborieux. Malgré vous, se crée une situation négative où il est difficile de sortir.

Voici deux faits qui amèneront à voir les choses de façon plus nuancée.

1/ Le rythme quotidien de 6 heures dans une salle de cours fatigue les élèves. En tant qu’enseignant, il vous est facile de ponctuer votre discours d’allées et venues le long des rangées, de bouger. Difficile alors de se rendre compte que vos élèves sont assis et passifs. On est pris par ses idées, par sa progression pédagogique.

Et alors me direz-vous ? Les élèves ne sont-ils pas au contraire dans une situation confortable ? Probablement. Mais sachez qu’une attention soutenue chez l’être humain ne va pas au-delà des 20 minutes [5]. Alors qu’en est-il vraiment de vos élèves ? Sur 6 heures, voire plus de présence dans une salle de cours, combien de temps restent-ils vraiment attentifs ? Je sais, ces questions n’amènent pas forcément à des réponses agréables. Ça « pique » un peu.

2/ Allez, pendant que j’y suis, je vais rester dans les questions qui fâchent. Vous êtes-vous demandé(e) ce que retiennent vos élèves au bout de 2 h00 de cours ? Si ce contenu n’a pas fait l’objet d’un rappel, d’une révision auparavant pas plus de 20% au bout d’une journée, je vous renvoie au dossier sur l’oubli sur ce sujet [6].

Que faire ? Pas besoin de faire de grands changements. En être simplement conscient changera votre état d’esprit et votre regard. Les solutions viendront d’elles-mêmes. Je vous renvoie sur le dossier de la concentration.

Pour revenir à notre sujet : ces 2 faits vous montrent que l’enseignement en présentiel n’a pas forcément une efficacité sans appel sur l’enseignement et la formation à distance.

L’enseignement en ligne offre bien plus d’avantages que la possibilité de se former et d’apprendre sans avoir à se déplacer, à savoir :

a/ Le respect du rythme. L’élève peut apprendre un cours selon son propre rythme. Son attention est plus disponible.

b/ La possibilité de revoir et d’enrichir un contenu. La rétention de l’information est meilleure dans la formation en ligne : l’élève a toujours la possibilité de revoir un cours, pour affiner sa compréhension et l’appliquer par des exercices qui y sont rattachés.

Erreur n°3 – Penser que la formation en ligne est une panacée et résout tous les problèmes

Si l’enseignement en ligne offre de nombreux avantages, qu’il peut représenter un avenir avec les nouvelles technologies (les TICE : Technologies de l’Information et de la Communication pour l’Enseignement), il ne s’agit pas de jeter le bébé avec l’eau du bain du présentiel.

Pour être efficaces pédagogiquement et réussir à atteindre son but, l’enseignement et la formation en ligne doivent satisfaire une condition fondamentale : celle de lamotivation des élèves.

L’université d’État de Ball (Ball State University) dans l’Indiana dans son étude auprès de ses propres étudiants note que [7].
« Bien que les résultats de cette étude montrent que les cours en ligne présentent de nombreux avantages, ces types de cours peuvent ne pas convenir au profil d’apprentissage des étudiants. La quantité de travail et de temps requis pour réussir un cours en ligne peut ne pas être comprise par les étudiants. »

Pour des étudiants en étude supérieure, il est possible de le concevoir. Ils ont une certaine autonomie. Mais pour des élèves de collèges, lycées ou lycée technique ou professionnel, les élèves ont besoin d’un cadre, cette autonomie est forcément moins présente. Outre la différence de maturité due à l’âge, les collégiens et les lycéens ne sont pas, ou peu, habitués à une autonomie.

En primaire, bien entendu, le cadre est encore plus important. Mais il y a les parents qui ont aussi leurs limites : ils ne sont pas maîtres des écoles.

Erreur n° 4 – Avoir les mêmes attentes

Dans la pratique de l’enseignement et la formation en ligne, l’erreur courante est de vouloir faire un substitut des enseignements en classe : les attentes et les objectifs ne sont pas les mêmes.

C’est une cause principale d’échec. Pourquoi ? Car pour arriver à une efficacité pédagogique l’enseignement à distance sollicite et s’appuie sur la capacité d’autonomie de l’élève [8 et 9].

L’élève est forcé à être acteur de son apprentissage et doit abandonner, peut-être à contrecœur, une passivité confortable permise par une présence en cours.

Mais, que faire avec des élèves de niveaux collèges ou lycée qui n’ont pas l’habitude de cette autonomie ? Lâcher prise ? Nombreux sont les professeurs qui ont l’impression de jouer à la roulette russe avec l’avenir des élèves. Et si, au final, on en perdait la plupart ? Est-ce que cette démission de l’élève face à ce nouveau mode d’apprentissage, plutôt déroutant, est rattrapable ?

Je répondrai à ces questions dans la seconde partie du dossier avec les 9 principes de la réussite d’un enseignement à distance.

Pour le moment, retenez que l’enseignement et la formation en ligne ne signifient pas une absence ou pire une démission. La présence de l’enseignant et du formateur est bien réelle, mais elle est différente sans pour autant être moins forte.

La clef se trouve plus dans une démarche d’accompagnement que de vouloir remplacer une présence physique de classe.

L’enseignant le formateur a plus l’esprit de l’entraîneur, de guide ou de coach [10].

Savoir accompagner, être un entraîneur FAIT UNE GROSSE DIFFÉRENCE dans l’engagement, l’attention, l’apprentissage et la satisfaction des élèves.

Enseignement et formation à distance : une trame

Dans l’enseignement et la formation à distance, on retrouve une trame générale en 3 étapes de la progression. La voici [11]:

1. Découverte et apprentissage du contenu. Les élèves regardent du contenu essentiellement en vidéos. Ce contenu peut être créé par vous-même ou il est déjà présent sur une plateforme pédagogique. Par expérience YouTube prend de plus en plus d’importance. On dénombre un nombre significatif de chaines éducatives avec du très bon contenu.

2. Exercices et travail de groupe.C’est une part essentielle de l’enseignement et de la formation à distance. Les exercices impliquent l’élève. Ceux-ci peuvent faire l’objet d’un travail de groupe qui prend tout son sens : en groupe l’élève se sent moins seul.

Comme je vous l’avais précédemment indiqué, vous ne pouvez pas vous attendre à une autonomie des élèves de collège ou même lycée identique à ceux de l’enseignement supérieur. La motivation se fait essentiellement par la notation. C’est normal. J’imagine que vous connaissez cette question à chaque exercice que vous pouvez donner « est-ce que c’est noté ? » Vous serez amené(e) à répondre « oui » plus souvent. 
Donc les exercices s’accompagnent d’un rendu autant que possible. Il ne s’agit pas non plus de se noyer sous les corrections. J’aborderai cet aspect dans la 2ème partie.

3. Sessions de questions-réponses. Pour maintenir non seulement un lien, mais aussi répondre au besoin d’avoir des réponses rapides, une session de questions -réponses s’avère indispensable. Cette session peut prendre plusieurs formes : en visioconférence (Skype, Zoom), par vidéos. Encore une fois, j’aborderai cet aspect dans la 2ème partie du dossier.

Dans cette trame, vous retrouvez le principe de la classe inversée [12].

« Dis-moi et j’oublie ; enseigne-moi et je me souviens peut-être ; implique-moi et j’apprends. »

Benjamin Franklin

 

 Sources et références 

 

 

[1] U.S. Department of Education, National Center for Education Statistics, IPEDS, Spring 2019, Fall Enrollment component (provisional data). Voir les chiffres ici

[2] Lauren Landry « Are Online Classes Worth It? 12 Pros & Cons of Online Learning » septembre 2019https://online.hbs.edu/blog/post/are-online-classes-worth-it

[3] Stanford dans le monde. L’université de Stanford a formé exclusivement par distance plus de 20 millions de personnes dans le monde :https://online.stanford.edu/about-us/community

[4] Préparer un diplôme universitaire au CNEDhttps://www.cned.fr/etudiant/cursus-universitaire/du

[5] « Comment améliorer la concentration »https://www.apprendreaapprendre.com/reussite_scolaire/comment-ameliorer-la-concentration/

[6] Comment limiter l’oublihttps://www.apprendreaapprendre.com/reussite_scolaire/comment-limiter-oubli/

[7] EXPECTED ADVANTAGES AND DISADVANTAGES OF ONLINE LEARNING: PERCEPTIONS FROMCOLLEGE STUDENTS WHO HAVE NOT TAKEN ONLINE COURSES » Issues in Information Systems Volume 13, Issue 2,pp.193-200, 2012https://iacis.org/iis/2012/114_iis_2012_193-200.pdf

[8 et 9] Bernard J. Luskin, Ed.D., LMFT « 2 Best Practices in Online Teaching and Learning
Improving doctoral education online. » 02 mars 2019https://www.psychologytoday.com/us/blog/the-media-psychology-effect/201903/12-best-practices-in-online-teaching-and-learning

[10] Online learning in higher education: exploring advantages and disadvantages for engagement avril 2018https://link.springer.com/article/10.1007/s12528-018-9179-z

[11] « Pourquoi faire de la formation à distance? Avantages et implications de la formation à distance » Université de Laval Québec.https://www.enseigner.ulaval.ca/system/files/pourquoi_faire_de_la_fad.pdf

[12] Emily Ostermeyer « 3 Time Management Tips for Online Learner 

 

Source: apprendre à apprendre

Donner du sens pour apprendre : les bonnes questions

Evaluation competences

Pour apprendre et enseigner efficacement il est important de travailler sur le sens, le désir et la signification. Comment y parvenir au mieux ? C’est d’abord poser les bonnes questions.

En classes : les bonnes questions à se poser

Une double réflexion vous engage, à laquelle il faut associer intimement, quotidiennement et inlassablement vos élèves.
D’une part, un questionnement régulier doit intervenir autour du premier type de réponses :

-C’est quoi, l’intelligence ? N’y a-t-il qu’une seule forme d’intelligence ?
– C’est quoi, la connaissance ? N’y a-t-il de connaissance qu’à l’école ?
– C’est quoi, apprendre ? Comment apprendre ? Et surtout, est-il possible d’apprendre à apprendre ?

D’autre part, une réflexion devra émerger, en lien avec le deuxième type de réponses : comment dépasser le caractère injonctif du cadre scolaire pour y trouver, au-delà de l’obligation, une signification, un sens, un désir et donc un projet ?

Il ne s’agit pas de disserter chaque jour avec les élèves sur de grands concepts philosophiques, il s’agit plutôt de toujours garder à l’esprit que, contrairement aux idées reçues, il n’y a pas d’évidence en matière d’apprentissage. Au travers des consignes, des activités proposées, des questions soulevées, des situations rencontrées et des tâches à effectuer, on ne peut faire l’économie d’un tel questionnement. Solliciter et répondre à ce questionnement, c’est faire preuve de responsabilité éducative en inscrivant sa démarche d’enseignement dans une démarche qui fait sens pour les élèves et leur donne le sens de leur propre posture d’apprenant.

Travailler sur la signification, le sens et le désir

Quand on travaille sur la signification, on travaille à la durabilité du projet d’apprentissage en l’inscrivant dans une démarche globale d’éducation visant l’autonomisation et la réalisation du petit d’homme en devenir.

Quand on travaille sur le sens, on s’emploie à ancrer au quotidien les différentes situations d’apprentissage en correspondance avec des objectifs explicites à plus court terme.

Quand on travaille sur le désir, on veille à maintenir ou susciter l’envie des élèves de s’impliquer dans la réalisation des différents projets eux-mêmes au service d’un plus large projet.

 Qu’est-ce que l’empowerment ?

En situant l’acte d’enseigner dans cette triple dimension, on donne la possibilité aux élèves de s’emparer de ce que les Anglo-Saxons appelle 1′ empowerment. Ce terme, curieusement, ne trouve pas d’équivalent lexical dans la langue française.’ Il répond pourtant en grande partie à un ensemble de problématiques récurrentes dans notre enseignement à la française.

Un enseignement marqué bien souvent – les enquêtes en témoignent – par l’ennui, le manque de sens et l’absence d’implication. Veiller à se préserver de cet écueil dès le premier jour de classe établit d’entrée de jeu un environnement climatique favorable à la mise en place d’une pédagogie éclosive, réflexive, dynamique, impliquante, sensée, exigeante et rigoureuse.

L’empowerment est cette capacité à prendre le pouvoir sur ce que l’on fait, comment on le fait et pour quelles raisons on le fait. L’augmentation du pouvoir-agir allant de pair avec le savoir-agir, l’enseignant devra donc proposer des pistes de travail pour permettre à l’élève de s’engager pleinement. En misant sur le développement de la compétence clé « apprendre à apprendre », il y contribuera grandement.

 

http://www.apprendreaapprendre.com/reussite_scolaire/donner-du-sens-pour-apprendre-les-bonnes-questions-2/

 

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